Communiquer, “c’est tenter de rendre l’autre prédictible”. (Malarewicz ). Chacun cherche à amener l’autre sur son propre territoire, sur ses propres croyances, sur ses propres certitudes. En ce sens, et à fortiori dans un contexte professionnel, toute communication vise à introduire un changement chez l’autre. Il n’est pas de communication sans manipulation au sens positif du terme. Communiquer, donc manipuler, c’est faire en sorte que l’interlocuteur accepte de prendre une position, d’adopter un point de vue, d’aller vers une décision. Communiquer, c’est donc tenter d’amener l’autre vers un changement qu’il ne pensait pas possible ou souhaitable ou accessible. Etre manipulé peut donc être tout à fait constructif, enrichissant et même source de plaisir.
La communication se fait dans une interaction, elle se constitue dans une boucle qui relie au moins deux interlocuteurs qui s’échangent des informations. Je redonnerai ici la belle définition de Gregory Bateson : une information est une différence qui crée d’autres différences. Sinon, il s’agit d’un bruit qui peut être néanmoins utile car il maintient le lien (« parler pour ne rien dire »).
Dans le monde de l’entreprise, la relation et la communication sont majeures car tous ces systèmes sont interdépendants. Nombre d’entreprises ont inscrit haut et fort dans leurs valeurs « travailler ensemble ». Comme s’il était possible aujourd’hui de travailler tout seul ! Peut-être est-ce une manière de défier cette sorte d’individualisme qui a pénétré les entreprises, à force d’individualisation du travail, de parts variables à géométrie variable et de concurrence interne exacerbée.
Ainsi, « travailler ensemble », tente-t-il de pallier aux paradoxes de l’entreprise qui demande tantôt un alignement passif aux décisions prises par les têtes tantôt une participation active de chacun, ce qui ne rend pas claire la limite. Tout cela rendu compliqué par les contraintes de temps. Or, une entreprise est un système dans lequel les relations et interactions entre les membres sont tout aussi importantes que les attitudes de chacun. Pour autant, l’entreprise n’est pas une somme d’individus indépendants, mais un tout qui se veut, doit se montrer et être cohérent, car c’est son essence.
Comme il est difficile de travailler ensemble tout seul, c’est ensemble précisément, dans une unité, une confiance mutuelle que l’esprit d’équipe peut se développer chez chacun. Le groupe et ses caractéristiques modifient toujours, en plus ou en moins, les qualités de l’individu.
On peut identifier des traits communs nécessaires pour travailler ensemble : la capacité à subordonner les préférences, opinions, options individuelles au bien commun du tout, la capacité à rechercher la « synergie » des compétences et des qualités avant la valorisation individuelle. Cela présuppose la reconnaissance d’un but commun, d’une motivation liée à la collaboration de tous les membres, l’acceptation de la répartition des rôles, l’acceptation de la mise en commun des fonctions d’une coordination des tâches par une autorité. Travailler ensemble repose sur une confiance mutuelle fondée sur un respect des règles communes.
S’il est clair que l’union fait la force au sein même de l’entreprise, et que depuis quelques années fleurissent « team building » et autres séminaires de groupe pour tenter de rendre conciliables des intérêts personnels avec un intérêt collectif, cette évolution clanique tend parfois à définir le monde extérieur de l’entreprise, concurrents, fournisseurs, partenaires, comme des ennemis où chaque négociation est bâtie sur le rapport de force.
Or s’entre-tuer n’est pas forcément le seul moyen de lutter contre la concurrence. Il existe dans la nature de nombreux exemples de coopération inter-espèces, encore appelée mutualisation. Pour assurer la dissémination de leur pollen, certaines fleurs s’appuient ainsi des insectes dits « pollinisateurs », qui, en contrepartie, peuvent se nourrir de leur nectar. De même, le buffle supporte sans sourciller la présence d’un oiseau dit pique-bœuf sur son dos. Quelles que soient les espèces concernées, cette relation est bâtie sur la notion de gagnant-gagnant : tu m’aides à me reproduire-je t’aide à te nourrir ; tu me laisses sur ton dos – je te débarrasse de tes parasites. Alors que le mutualisme est connu en biologie depuis le début du XXè siècle, cela ne fait qu’une vingtaine d’années que l’on découvre cette idée dans l’entreprise. Il reste que le chemin n’est est à qu’à ses débuts. Comme l’explique Manfred Mack dans ces derniers ouvrages, en prenant la co-évolution dans un sens légèrement différent de celui qui est déjà à l’œuvre, « co-évoluer signifie progresser ensemble , échanger ouvertement, donner aux autres et à l’ensemble, sachant qu’il y aura un « retour » positif un jour ou l’autre. Ce comportement repose sur la confiance réciproque qui permet d’acquérir le sens de l’appartenance à quelque chose de plus grand que soi. Ce n’est donc pas par la compétition mais bien plus par la co-évolution que l’on parvient à progresser dans un monde complexe »
Les exemples d’entreprises qu’il décrit dans son livre montrent qu’il est possible de faire autrement. Pour cela, il convient d’élargir sa perspective concernant ce qu’est la valeur. De considérer qu’elle est synonyme « d’effet bénéfique » à différents niveaux, aussi bien financier que non financier, quantitatif que qualitatif, matériel qu’immatériel, dans le résultat « final » que dans les résultats intermédiaires. Ainsi, on en vient à s’intéresser, dans le système entreprise, aux interactions dynamiques qui engagent l’ensemble des parties prenantes – entreprise, client, équipes multi-disciplinaires, partenaires – dans un processus de co-création de la valeur. Pour cela, il faut, entre les acteurs, un fort degré de proximité, d’intimité, d’échange d’informations, de dialogue créateur, de confiance mutuelle. Il faut aussi se mettre dans une posture qui permet d’avoir la vision globale des choses, pour observer qu’une intervention, même modeste, à un endroit donné du système, peut modifier son fonctionnement de façon décisive et ainsi entraîner une manière d’opérer plus performante (donc plus rentable) de l’ensemble.